SUBTIL BÉTON
les Aggloméré·e·s

Un roman d’anticipation fabriqué à plusieurs mains.

REVUE DE PRESSE

Revue - CONTINENTS MANUSCRITS - Ateliers de l’Antémonde et Aggloméré·e·s, trajectoires jumelles de deux collectifs de science-fiction militants

« Concevant la littérature et l’écriture collective comme un outil d’émancipation, les deux groupes engagent un pratique politique de bout en bout »

« Les Ateliers de l’Antémonde et Les Aggloméré·e·s : les trajectoires jumelles de deux collectifs de science-fiction militants » - Par Jean-Marc Baud - Publié en ligne en septembre 2025 sur Continents Manuscrits, Génétique des textes littéraires - Afrique, Caraïbe, diaspora : 25 - 2025 Écrire (et penser) ensemble.

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Les Ateliers de l’Antémonde et Les Aggloméré·e·s

Les trajectoires jumelles de deux collectifs de science-fiction militants

En 2018 et en 2022, paraissent deux ouvrages de science-fiction publiés par deux nouveaux collectifs d’aut·rices venus du monde militant, Les Ateliers de l’Antémonde pour Bâtir aussi et Les Aggloméré·e·s pour Subtil béton. Ces deux fictions, un recueil de nouvelles et un roman, explorent et partagent un même imaginaire féministe, anti-capitaliste et révolutionnaire. Leurs aut·rices les conçoivent comme des espaces d’expérimentations de futurs combatifs et désirables faisant suite à l’Haraka, une révolution mondiale née dans le sillage des Printemps arabes dans Bâtir aussi, ou à une insurrection sévèrement réprimée par un régime autoritaire en 2037 dans Subtil béton. Concevant la littérature et l’écriture collective comme un outil d’émancipation, les deux groupes engagent une pratique politique de bout en bout : de la genèse de leurs livres, nés dans le cadre d’expériences militantes, à leur écriture, à plusieurs mains, en passant par leur diffusion, à travers notamment la pratique d’ateliers d’écriture et de « labo-fictions » destinés à transmettre cette modalité d’écriture et favoriser le partage d’imaginaires émancipateurs. Par là, Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’Antémonde connaissent des trajectoires assez originales dans le champ littéraire en même temps qu’étonnamment similaires. Cet article se propose ainsi d’étudier les enjeux, les pratiques et la posture de ces deux collectifs en miroir et d’analyser les politiques d’écriture qu’ils promeuvent, à la fois dans et hors des livres.

I. La fiction comme pas de côté militant : dans la fabrique collective de Bâtir aussi et Subtil béton (2007-2022)

L’aventure collective des Aggloméré·e·s débute en 2007, à Dijon, dans l’espace autogéré des Tanneries. Se sentant minorisé·es par les hommes cisgenres au sein de ce lieu, des militant·es décident de se réunir sur le modèle de la non-mixité militante « pour réfléchir à ce qui coince dans les dynamiques collectives, d’un point de vue féministe [1] », comme iels l’expliquent dans la postface de Subtil béton. Pour résoudre ce problème politique, iels puisent dans le répertoire d’action du militantisme autogestionnaire et féministe, en recourant à la forme de l’atelier. L’une de ces militant·es, ouvrière-boulangère, suit alors une formation en éducation populaire et propose donc l’une des formes expérimentées dans ce cadre : l’atelier d’écriture [2]. Une structuration collective se met peu à peu en place, autour d’un noyau dur de trois, puis quatre, puis cinq membres qui se réunissent « quelques jours tous les quelques mois [3] », en invitant à chaque fois plusieurs autres personnes, toujours en non-mixité. Une méthode se précise peu à peu, comme l’expliquent les aut·rices dans la postface du roman :

Nous expérimentons des jeux d’écriture et, progressivement, peaufinons une méthode qui devient notre marque de fabrique : chacun·e écrit un premier jet, en moins de dix minutes et sous forme d’anecdote, très concrète, visuelle, comme une scène de film. Ensuite, nous échangeons nos feuilles pour fabriquer un second texte, en nous appuyant sur celui que nous venons de recevoir. Puis nous faisons à nouveau tourner et nous réécrivons, encore et encore et encore. Dans les premiers jets, nous décrivons des moments vécus, des protagonistes et des décors connus. Subrepticement, le passage par d’autres mains fictionne le récit, met à distance les émotions tout en les enrichissant, propose critiques ou secours à la situation. (SB, p. 494-495)

L’expérimentation possède ici une dimension ludique : ces « jeux d’écriture », chronométrés, reposent sur une consigne nette et une circulation physique des feuilles sur lesquelles sont écrites des amorces de récit. Les extraits de ces productions que le collectif a publiés sur son site témoignent du respect strict de la consigne et de sa vertu désinhibante : ainsi, dans un extrait consacré au futur personnage Koma, la première contribution est interrompue en plein milieu de la phrase puis complétée par la deuxième : « j’irai bien au bord de la mer, j’aimerai bien monter audessus du bord de la mer, peut-être, pour faire // ce que je peux faire en “indépendante [4]” ». Ces suspens rédactionnels démontrent le désir d’une création véritablement collective qui ne résulte pas de la simple juxtaposition d’écritures individuelles. L’exercice favorise une dépersonnalisation progressive du texte qui, d’écriture de soi, devient une écriture du nous, les membres étant invité·es à combler ou compléter les moutures des autres par leur propre imagination ou leur propre expérience, dans un jeu de brouillage auctorial. D’emblée, l’écriture revêt une double dimension, qui fera la nature hybride du projet de Subtil béton. Elle est d’abord conçue comme un outil militant : chaque séance est centrée autour d’un thème (la recherche de sens, le sentiment de trahison, la peur, la confiance au sein d’un groupe…), que chacun·e se réapproprie par le récit d’une anecdote personnelle, le geste d’écriture collective étant censé apporter « critiques ou secours à la situation ». Dans le même temps, le processus commun ouvre « subrepticement » des dynamiques fictionnelles qui échappent à cette dimension purement instrumentale de l’écriture sans l’annuler, mais en la complexifiant.
En décembre 2008, environ deux ans après le début du projet, une séance d’atelier approfondit et entérine son orientation fictionnelle. L’une des invité·es décrit dans sa contribution la ville de Rouen où elle a grandi. Les membres du collectif sont attiré·es par cette ambiance de ville portuaire désindustrialisée et décident de réécrire les textes du matin dans ce décors-là. Les textes de cet atelier ont été publiés sur le site du collectif, témoignant de l’importance séminale de la séance. Les quatre personnages esquissés ici constitueront le personnel du futur roman et une logique de convergence narrative s’amorce : le port, le marché, la ville désindustrialisée forment un décor commun aux fragments de récits qui semblent se déployer dans un futur dystopique. Ainsi, le monologue intérieur d’onik écrit lors de l’atelier du matin se transforme l’après-midi en une scène qui se déroule dans une restaurant de la ville, où elle travaille. Des relations interpersonnelles possibles entre les quatre personnages sont suggérées, comme si le récit thématisait son devenir : plusieurs d’entre elles ont en commun une amie nommée Tor ; à la gare, Zoé mentionne « une fille, un bonnet rouge à pompon fiché sur la tête, immobile », qui correspond à la description de Koma dans le fragment qui lui est consacré, une militante fraîchement arrivée dans la ville et qui doit rejoindre, sur les conseils de Tor, un groupe clandestin qui habite en périphérie de la ville. Enfin, une consigne d’écriture s’ajoute, consistant à mentionner des « poissons » dans chaque texte. Si l’introduction de ce motif peut paraître artificielle dans certains fragments [5], il manifeste le désir, après une exploration thématique libre, d’agglomérer un univers fictionnel commun et d’ouvrir une trajectoire narrative. Le choix de la fiction se construit ainsi en opposition avec une prose militante essentiellement argumentative, voire dogmatique. Elle offre une autre façon d’explorer ces questionnements politiques, en puisant dans le répertoire d’action du militantisme autogestionnaire et de l’éducation populaire, tandis que l’ancrage proprement science-fictionnel qui se dessine peu à peu a pu être favorisé par les dispositions culturelles héritées de certain·es membres du groupe [6]. Les séances d’atelier d’écriture se poursuivent alors autour de cette narration. Le projet d’un roman est lancé.
En 2011, un second projet d’écriture collectif se structure. L’une des membres du groupe Les Aggloméré·e·s est sollicitée par un ami militant et éditeur dans une petite maison d’édition lyonnaise, Tahin Party, pour écrire une préface à un article du philosophe Murray Bookchin, « Vers une technologie libératrice », en vue de sa réédition, avec un troisième militant, très impliqué sur les questions informatiques. Plutôt que d’écrire cette préface, elle propose de réemployer la méthode de l’atelier d’écriture expérimentée avec Les Aggloméré·e·s pour mener de façon plus actuelle la critique du capitalisme industriel. Des rendez-vous d’écriture réguliers se mettent alors en place entre les trois militant·es. Ces sessions reconduisent les méthodes éprouvées avec Les Aggloméré·e·s tout en s’en distinguant : pour ce groupe bientôt baptisé les Ateliers de l’antémonde, il s’agit aussi de se réunir physiquement pour écrire, le plus souvent sur papier, et de faire circuler les textes pour aboutir à une écriture véritablement collective. Mais l’objectif d’écrire un livre est posée d’emblée, là où il s’affirme peu à peu chez Les Aggloméré·e·s, et la composition de ce deuxième collectif est stable (trois personnes), fermée (il n’y a pas d’invitation) et mixte (incluant un homme cis-genre acquis aux questions féministes). Si l’enjeu est là encore de réfléchir à un questionnement politique, sa nature diffère :

Alors, comment critiquer le capitalisme industriel sans être réactionnaire (cette posture du c’était mieux avant) ? Comment articuler nos analyses du monde pour penser dans un même mouvement l’anéantissement des logiques capitalistes et des dominations croisées ? Comment, en tant que transféministes (TransPédésGouines et matérialistes), s’emparer des critiques anti-industrielles [7] ?

Si l’ancrage idéologique anticapitaliste et intersectionnel sert de fond commun aux deux collectifs, la question à laquelle tentent de répondre les aut·rices porte davantage sur des aspects technologiques et industriels. Cette thématisation est renforcée par le choix de la forme du recueil de nouvelles qui permet d’explorer ces interrogations ou ces projections en contexte post-capitaliste, chaque nouvelle semblant offrir une petite fiction spéculative organisée autour d’une question très concrète : dans une société révolutionnaire et non-capitaliste, comment lave-t-on son linge ? fait-on encore voler des avions ? comment se déplace-t-on ? comment se nourrit-on ? Après sept ans d’atelier d’écriture, les trois aut·rices proposent le recueil aux éditions Cambourakis, qui le publient en 2018 dans leur collection « Sorcières », dédiée aux écritures féministes.
L’écriture du roman des Aggloméré·e·s se poursuit en parallèle durant la décennie 2010, selon un double mouvement d’homogénéisation et d’hétérogénéisation. Les aut·rices construisent peu à peu un univers fictif cohérent : iels dressent des fiches de personnage, se mettent d’accord sur la chronologie diégétique, la trame du récit, les innovations technologiques et le contexte social permettant d’accréditer la part dystopique et futuriste du récit [8] et de renforcer la cohérence de l’ensemble des fragments. Dans le même temps, les aut·rices s’attachent à singulariser leurs personnages. Le processus d’écriture adopté jusque-là, qui repose sur de multiples réécritures des textes, a en effet conduit, d’après les aut·rices, à une trop grande homogénéisation des différents protagonistes, en termes de style mais aussi de caractérisation. De nouvelles consignes, souvent d’ordre formel, sont imaginées pour les dissocier. Une ponctuation singularisante est ainsi inventée pour chacun·e : onik n’utilise pas de majuscule, Koma de virgule… Au-delà de ces consignes, la consultation des brouillons en ligne témoigne aussi d’une complexification et d’une diversification tonale des passages écrits. Ainsi, les moutures des textes produits lors de l’atelier inaugural de décembre 2008 donnent à lire des personnages dont les caractérisations psychologiques sont très proches : une humeur dépressive commune donne à l’ensemble des propositions une tonalité dysphorique. Les versions suivantes du texte, écrites quelques mois plus tard, et la version finale montrent une plus grande diversité d’humeurs et de tonalités. Ainsi, l’image de la bulle, qui accompagne la lycéenne Zoé comme métaphore structurante et symbolise sa solitude et son malaise, évolue dans les versions suivantes, qui décrivent sa découverte progressive du mouvement social et la joie qui l’accompagne : « elle a crevé la bulle, elle a plongé dans l’océan » (SB, p. 21).
Les sessions d’écriture s’allongent, de plusieurs jours à plusieurs semaines, en vue de la finalisation du texte. Outre les débats sur son écriture, les discussions portent aussi sur la pertinence de sa publication chez un éditeur professionnel. Pour les un·es, l’ambition anticapitaliste du roman et de ses aut·rices est inconciliable avec l’industrie du livre. Pour les autres, l’édition littéraire permettra d’accroître la visibilité de leur récit et d’en partager plus facilement la pratique, dans l’espoir qu’elle se diffuse. Finalement, l’expérience éditoriale de Bâtir aussi favorise doublement la publication de Subtil béton : grâce à son bon déroulement, elle tend à convaincre les personnes opposées à la publication de sa pertinence, et elle permet de mettre à profit le capital social engrangé lors de la recherche d’un éditeur pour le recueil de nouvelles. Les éditions de l’Atalante, qui s’étaient montrées intéressées par le projet de Bâtir aussi, sont sollicitées à nouveau pour Subtil béton. Un travail éditorial long se met en place qui aboutit finalement à la parution du roman en 2022, quinze ans après les premiers ateliers d’écriture.
Les deux trajectoires d’écriture de Bâtir aussi et de Subtil béton apparaissent à la fois similaires et mêlées. Les deux livres sont impulsés par des écrivain·es non-professionnel·les, outsiders issu·es du monde militant, qui recourent à la fiction pour réfléchir à des questions politiques. L’écriture de ces récits se situe ainsi dans le prolongement de ces activités militantes mais aussi en réaction contre elles (réaction à la domination masculine, différenciation vis-à-vis d’une prose militante argumentative), et se fait à travers la forme de l’atelier d’écriture, en collectif et au long cours, puisque les deux projets s’étalent sur sept et quinze ans. Les livres qui en sont issus témoignent aussi de ces trajectoires parallèles.

II. Bâtir aussi et Subtil béton : symétries fictionnelles

Si Bâtir aussi est un recueil de nouvelles et Subtil béton un roman, les deux livres semblent construits symétriquement. Ce sont deux narrations de l’après-insurrection, l’une victorieuse et l’autre réprimée. Subtil béton se déroule plusieurs années après l’échec du mouvement social de 2037, dans un régime fascisant appelé la « Franco ». Les nouvelles de Bâtir aussi prennent place, quant à elles, dans la géographie de l’ancienne France qui a rompu avec le capitalisme à la suite de la révolution mondiale de la Haraka, née dans le sillage des Printemps arabes des années 2010. Si le premier peut être assimilé à une dystopie et le second à une utopie, les deux livres témoignent bien de l’affinité des deux genres, plus complémentaires qu’opposées, en tant qu’ils constituent deux genres critiques invitant à l’émancipation [9]. Subtil béton apparaît en effet comme une dystopie batailleuse, donnant à voir des collectifs militants réprimés mais continuant la lutte pour renverser un régime totalitaire, tandis que Bâtir aussi se présente comme une « utopie merdique » ou une « utopie bourrée d’ambiguïtés [10] », en écho au roman Les Dépossédés d’Ursula K. Le Guin, en ce qu’il s’attache à montrer les difficultés politiques et sociales que pose un régime débarrassé du capitalisme et de la croissance, à l’opposé de l’imaginaire du pays de cocagne.

II.1. Des récits anticapitalistes, féministes et intersectionnels

Dans ces deux récits, la question politique et sociale est au centre. En témoigne l’incipit de Subtil béton, qui s’ouvre sur le personnage de Mariana, 57 ans, qui, à peine sortie de chez le dentiste, se retrouve embarquée en pleine manifestation dès la deuxième page, tout comme le lecteur. C’est cette même Mariana que l’on retrouvera à la fin du récit, au cœur d’une autre mobilisation, dans le port de la ville que les activistes occupent grâce à un mouvement victorieux. D’un mouvement social l’autre, la centralité de la question militante est ainsi renforcée par cette circularité narrative. Plus encore, l’essentiel des récits porte sur des espaces et des formes de vie communautaires, qu’il s’agisse de groupements affinitaires clandestins et de collectifs en lutte dans Subtil béton ou de collectifs autogestionnaires, sur un mode communaliste, dans Bâtir aussi. Les deux livres semblent confirmer en cela l’intuition exprimée par Michel Lafon et Benoît Peeters dans leur ouvrage Nous est un autre. Enquête sur les duos d’écrivains, selon laquelle « les fictions produites en collaboration racontent très souvent […] des histoires de collaboration [11] ». Conçus comme des espace de réflexivité et amorcés autour de récits de soi, les récits rejouent, en les décadrant par la fiction, les modes de vie et les dynamiques des collectifs militants qui en sont à l’origine. Le foyer familial ou le modèle de la famille nucléaire sont ainsi quasi absents des narrations, qui leur préfèrent les relations amicales, souvent politiques, et communautaires, en privilégiant la représentation de l’ordinaire de la lutte. Les deux récits donnent à voir des scènes de quotidienneté militante : préparation de la nourriture, préparatifs des mobilisations politiques, mais aussi fabrication et réparation d’objets, un enjeu qui est au cœur du recueil Bâtir aussi et est incarné par son personnage le plus récurrent, Julie, une réparatrice ambulante de machines à laver qui apparaît dans deux nouvelles, « Frictions », qui ouvre le recueil, et « Lave ton linge 2.0 ». L’axiologie des récits se manifeste très nettement ici à travers la valorisation récurrente des « héroïnes du quotidien » dont est dressé un portrait encomiastique dans la nouvelle « Le mélange théorie-vaisselle » (BA, p. 203).
La question féministe et intersectionnelle est ainsi l’une des valeurs maîtresses des récits, qui constituent de véritables « fictions sororales [12] » pour reprendre l’expression de Margot Châtelet, en parfaite continuité avec le processus de création des livres, en particulier de Subtil béton, écrit sans homme cisgenre. À l’image de son écriture, les personnages principaux et les narrateurices de ce roman polyphonique sont toustes des femmes et des hommes trans, à deux exceptions près [13], contribuant à la création d’un feminist gaze [14] dans le récit. Dominants dans la société, mais marginalisés dans le récit, les hommes hétérosexuels cisgenres et blancs apparaissent en bas de la hiérarchie des personnages et sont le plus souvent disqualifiés par les commentaires d’autres protagonistes et le traitement satirique dont ils font le plus souvent l’objet [15]. Le féminisme imprègne aussi le traitement linguistique des deux livres, qui sont tous rédigés en écriture inclusive, choix justifié par une mise au point dès la première page du recueil Bâtir aussi, et explicité dans une note sur son site internet par les Aggloméré·e·s [16], qui ont fait le choix d’imaginer des formes d’inclusivité différentes pour chaque personnage de leur roman [17]. Les références citées dans le livre, qu’il s’agisse du texte ou du paratexte, tendent aussi à constituer une petite bibliothèque féministe, selon une poétique de l’allusion, de la citation ou de l’hommage : une référence à Ursula K. Le Guin ouvre les deux livres, en épigraphe ou en dédicace, et son livre L’Anniversaire du monde est décrit par le personnage d’Alex comme « le meilleur livre de la galaxie » (SB, p. 157) dans Subtil béton. Parmi les manifestant·es, au début de roman, une professeure porte le nom de « Mme Ernaux », tandis que la carte de la ville, imaginée par les Aggloméré·e·s et reproduite dans l’édition grand format du livre et sur le site internet du groupe, contient de nombreux jeux de mots faisant allusion à des autrices féministes [18]. Cette triple démasculinisation de la langue, du personnel narratif et de la figure auctoriale est pensée par Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’Antémonde comme pouvant contribuer à un changement de l’état du champ militant et littéraire (qui s’autorise à écrire ? qui représente-t-on dans les récits ?), dans une dynamique d’empowerment en direction des lectrices.

II.2. Dialogues, polyphonie et autodéfense

Si les récits visent à représenter cette vie communautaire et collective, ils s’essaient aussi à montrer et interroger ses écueils, ses complexités et ses difficultés : place, fragile et incertaine, de l’intimité dans les vies collectives [19], désaccords, oppositions politiques et stratégiques parfois violents, apories d’une vie militante anticapitaliste qui reconduit en son sein les logiques néolibérales qu’elle prétend combattre (multiplication des réunions [20], impératifs de productivité et d’efficacité [21]). C’est dans ce cadre-là, celui de livres ancrés dans des vies communautaires et désirant aussi en montrer les zones de friction, qu’il faut comprendre la part dominante du dialogue dans les deux ouvrages. Qu’il s’agisse de discussions informelles, mais principalement politiques, entre militant·es ou membres d’un collectif, ou bien de réunions syndicales ou d’assemblées générales, le dialogue tend à occuper une place prépondérante dans ces fictions ainsi constituées en véritables récits-forums. Beaucoup de ces dialogues sont consacrés à la planification des actions à venir et à la discussion des stratégies à adopter, pour s’opposer au pouvoir fascisant dans Subtil béton notamment. Ils recourent ainsi massivement à la modalité déontique, dans toutes ses formes [22]. Ces scènes de dialogue opèrent alors comme des vecteurs de dramatisation narrative mais aussi d’intensification des antagonismes entre les personnages [23]. Ces dialogues, auxquels il faut ajouter l’adoption d’une énonciation chorale dans Subtil béton, viennent exemplifier dans le roman les frictions qui peuvent opposer les membres de ces groupes en lutte en même temps qu’ils figurent un idéal démocratique de la vie collective, où le dissensus peut s’exprimer librement, où le désir communautaire n’arase pas les singularités ou ne les réduit pas à un unanimisme. Les désaccords qui s’expriment entre les personnages reflètent et prolongent ainsi les débats qui ont nourri le processus d’écriture même des livres, comme on peut le lire dans la postface de Bâtir aussi :

Notre travail ne s’est pas uniquement nourri de nos questions, mais aussi de nos désaccords. Nos polémiques, nos imaginaires en conflit, nous ont donné l’inspiration d’une réalité tout en mouvements et en divergences. (BA, p. 314)

Selon aude, il s’agissait non pas de trancher les désaccords idéologiques entre auteurs en amont de l’écriture mais dans le geste d’écriture lui-même, les dialogues figurant ainsi les dissensus auctoriaux et contribuant à la construction d’un auteur singulier-pluriel. Cette polyphonie n’exclut pas cependant des modes de traitement différenciés des personnages et de leurs propos, selon la situation d’où il parle, dessinant un feminist gaze dans les deux récits. Ainsi, conformément à la genèse du projet des Aggloméré·e·s, les dialogues ont une dimension de soin, de réparation, mais aussi de riposte. Ils sont le lieu par excellence où l’écriture s’apparente le plus à des « pratiques d’autodéfense intellectuelle », pour reprendre les mots d’aude à propos des ateliers d’écriture ayant abouti à Subtil béton. Certains échanges semblent ainsi informés par les méthodes du Théâtre de l’Opprimé et du Théâtre Forum, consistant, notamment, à rejouer collectivement un moment d’oppression et à imaginer des modifications possibles. Dans le roman, de nombreuses répliques relèvent de cette riposte, de ces exercices d’autodéfense féministe, à l’image de Faz répondant au colocataire de sa sœur qui lui demande si sa mauvaise humeur est due à ses règles : « Si j’avais mes règles, je te balancerais mes serviettes hygiéniques à la gueule. Tes remarques miso, essaie de les sortir de ton cerveau d’essoreuse à salade » (SB, p. 117) ; ou encore d’onik qui « s’acharne à renverser la peur » (SB, p. 308) en distillant des répliques cinglantes aux hommes qui la prennent en stop et tentent de l’agresser ou d’imposer leur domination.

II.3. « [N]ous avons besoin de rêves aussi, d’imaginaires qui nous font du bien »

Cette écriture du dissensus contrôlé n’en aboutit pas moins, en général, à une forme de dépassement dialectique, qui vaut à la fois pour les dialogues et pour la trajectoire globale des deux récits. La nouvelle « Le mélange théorie-vaisselle », dans Bâtir aussi, en témoigne. Si elle s’ouvre par une discussion entre femmes, au sein d’un réfectoire collectif, sur les premières années post-révolutionnaires, la nouvelle prend un tour plus polémique lorsqu’un homme, ancien professeur d’université, s’invite dans la discussion pour se moquer des régimes alimentaires de l’une d’elles et « ce délire bio-bio-perso » (BA, p. 211), vu comme une ultime manifestation de l’individualisme de l’Antémonde. La discussion s’envenime et se déplace sur d’autres sujets, comme l’écologie ou la religion, qui donnent lieu à des échanges de plus en plus virulents. Pourtant, un double dépassement s’opère à la fin de la nouvelle : le personnage de Maud, qui est aussi la narratrice du récit, réussit in extremis une sorte de synthèse des positions des un·es et des autres, qui ouvre alors la voie d’un apaisement généralisé et d’une chute heureuse pour la nouvelle :

Puis, une sorte de magie étrange opère sur le réfectoire, tout le monde se remet à discuter tranquillement et notre vieux camarade Dom-le-soixante-huitard reprend la parole comme si de rien n’était, calmement, gentiment. […] Alors il monte sur sa chaise, d’un coup, la main sur le cœur et déclare en hurlant qu’il va aller fouiner en cuisine pour trouver à Lydie de quoi compenser cette privation de semoule éhontée et contre-révolutionnaire. Il lève le poing, gesticule et tout le monde rigole. (BA, p. 218)

Cette poétique du happy end révolutionnaire, même temporaire ou fragile, irrigue l’ensemble des nouvelles du recueil qui, après un conflit opposant les membres d’un groupe et menaçant de le fissurer, s’achèvent généralement par une forme de réconciliation collective et un renforcement des groupements décrits : le vieux Baudouin, un « récalcitrant » (selon le titre de la nouvelle) au modèle collectiviste mis en place depuis la Révolution, terré dans sa maison, est finalement réintégré à la communauté à la suite d’une rencontre houleuse avec des membres de la commune et sa prise en charge par la mutuelle communale ; Gasp et Kimy se réconcilient à la fin de « Phoenix » en écrivant le compte rendu de l’AG ensemble après la dispute qui les a opposés ; les concept·rices de l’avion qui a détruit une partie de l’immeuble du quartier Beaubrun à Saint-Étienne, décident de rester parmi les habitant·es pour aider à réparer les dégâts dans « Lave ton linge 2.0 ». La dernière nouvelle du recueil décrit l’organisation d’une fête grâce à un système sonore expérimental. Si la nouvelle ne raconte pas la fête elle-même, mais ses préparatifs, preuve d’un happy end ambigu ou incomplet, le choix de ce motif final dit bien la trajectoire narrative souhaitée. C’est sur ce même motif festif que s’achève le roman Subtil béton. La prise du port par un ensemble de groupes militants auparavant éparpillés et désormais réunis témoigne de ce même mouvement d’extension et de renforcement du groupe initial et achève le récit sur une scène de libération à la fois individuelle et collective. Cette extension du domaine du « nous » est préparée tout au long du récit, selon un crescendo énonciatif visible dans l’évolution des titres de section du roman. Chaque section est en effet précédée du nom du protagoniste qui en est le personnage central, le foyer de focalisation ou læ narrat·rice. À partir de la quatrième partie, d’individuelles, ces mentions deviennent collectives et regroupent deux ou trois personnages ou décrivent des entités plurielles : « réunion » (SB, p. 290), « Toute la bande » (p. 392)... D’alternée, la polyphonie devient ainsi intégrée à chacune des sections, manifestant cet avènement d’un nous qui n’efface pas le je. L’issue collective et l’enthousiasme festif qui l’accompagne sont renforcés par une rupture tonale et l’irruption du merveilleux dans une ultime scène où dauphins, mouettes et baleines chantent et chorégraphient le triomphe de la mobilisation, non sans ambiguïté, comme l’exprime ce commentaire méta-textuel dans la dernière page du roman, proche d’une métalepse auctoriale :

Vous et moi, nous ne sommes pas naïves au point de gober des délires pareils, nous avons besoin d’explications qui tiennent un minimum la route. Mais nous avons besoin de rêves aussi, d’imaginaires qui nous font du bien, qui nous calment et nous apaisent. (SB, p. 482)

Le commentaire joue ici un double rôle : il condense tout l’enjeu politique du roman et de son écriture, et vient justifier son utilité, en même temps qu’il ouvre encore l’énonciation vers un nous qui n’englobe plus seulement les personnages du récit, mais aussi les auteurices et les lecteurices. De la même façon, les questions scandées à la fin du roman (« Le capitalisme, on va le bousiller, quand ça ? […] » : SB, p. 482) s’adressent aussi, dans un jeu de double énonciation, aux lecteurs et aux lectrices, invité·es ainsi à poursuivre la mobilisation hors du roman.
Subtil béton et Bâtir aussi entretiennent ainsi de nombreuses ressemblances par leur forme chorale et leur écriture collective, leur trajectoire narrative et leur ancrage générique, leur sous-texte idéologique, anticapitaliste, féministe et intersectionnel et les analogies qui existent entre leur processus de production et leur contenu. Ce sont des récits-outils ou des récits-ateliers qui dessinent des communautés militantes et sororales destinées à se déployer aussi en dehors du livre.

III. Que font les collectifs de science-fiction au champ littéraire ?

Si Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’Antémonde se sont formés dans le monde militant et ont pensé originellement l’écriture comme une façon de répondre aux enjeux propres à cet espace, la publication de leur récit et le succès d’estime qu’ils ont rencontré les ont fait devenir des act·rices du champ littéraire. Quelle position y occupe donc ces deux collectifs ? En quoi l’importation de logiques hétéronomes (habitus et répertoire d’action militants) peut-il contribuer à modifier l’état du sous-champ de la science-fiction ?

III.1. Collectif et singularité

La première caractéristique qui tendrait à singulariser Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’antémonde est précisément la nature collective de leur projet et de leur présence dans l’espace littéraire. Cette auctorialité multiple est toutefois à inscrire dans une dynamique générale de renouvellement des écritures collectives en science-fiction [24], comme ailleurs [25]. Les discours des aut·rices de Subtil béton et Bâtir aussi font ainsi écho à certains topoï de l’écriture collective que l’on retrouve chez de nombreux groupes actuels [26] : une revendication politique d’« horizontalité [27] », la contestation du mythe romantique de l’écrivain solitaire et inspiré [28], ou encore le constat de l’effacement ou de l’hybridation des identités auctoriales par l’acte d’écriture [29]. Si les perturbations du jeu des signatures et des attributions ne sont pas inédites dans l’histoire littéraire et dans le moment actuel, Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’Antémonde accentuent ce positionnement en revendiquant une conception maximaliste de l’auctorialité qui inclut toutes celleux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à la production du livre. Subtil béton s’achève ainsi par de longs remerciements qui mêlent les noms et les pseudonymes des aut·trices, édit·rices, des participant·es aux ateliers d’écriture, mais aussi des gens qui ont accueilli, logé et nourri les membres du collectif. À la manière d’un générique de film, ces remerciements tendent ainsi à mettre en lumière la nature nécessairement collective du livre, laquelle ne peut pas se réduire à l’aut·rice qui en est à l’origine, fût-iel pluriel, et ainsi à visibiliser l’ensemble de ses conditions matérielles de production, dans une perspective marxiste revendiquée. Cette conception maximaliste de l’auctorialité se heurte toutefois à la centralité de la figure auctoriale dans le marché du livre : ce sont ainsi bien les aut·rices qui répondent aux sollicitations médiatiques et aux invitations dans les festivals, même si ces interventions sont le plus souvent collectives et que le simple usage des prénoms ou des pseudonymes tend à estomper l’identification et la singularisation des figures auctoriales du groupe, déjà absentes de la couverture des livres. Là où la plupart des collectifs contemporains réunissent des aut·rices ayant déjà publiés des œuvres individuelles ou aspirant à le faire, et bâtissent ainsi une posture commune négociant avec les postures singulières des un·es et des autres, entre gestes d’adhésion et jeux de distinction [30], les membres des Aggloméré·e·s et des Ateliers de l’Antémonde, outre la pratique d’une forme d’anonymat, ne poursuivent pas de carrière littéraire individuelle et ne revendiquent d’œuvre que collective. Il en résulte la constitution, dans le champ littéraire et en particulier dans le sous-champ de la science-fiction, de ce qu’on pourrait appeler une posture collective intégrale.
Cette posture collective se prolonge en posture de camaraderie entre les deux collectifs, favorisée par l’existence d’une membre commune et des positionnements idéologiques proches. Loin de l’imaginaire des guerres de position entre groupes qui ont fait l’histoire des avant-gardes au XXe siècle, Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’Antémonde n’essaient pas de se distinguer l’un de l’autre mais plutôt de manifester leur amitié : c’est d’ailleurs dans l’onglet « Camaraderies » du site subtilbeton.org que l’on peut retrouver un lien vers le site des Ateliers de l’Antémonde, qui à leur tour renvoient aux Aggloméré·e·s, également mentionné·es dans les remerciements de Bâtir aussi. Les contacts éditoriaux noués lors de la publication du recueil ont profité à la recherche éditoriale de Subtil béton, certaines interventions publiques se font en commun, à l’image de l’émission de radio « Pour des imaginaires révolutionnaires désirables » enregistrée durant le festival des Intergalactiques à Lyon le 15 avril 2023. En outre, les tournées de présentation des livres et d’ateliers d’écriture passent régulièrement par les mêmes lieux [31], ce qui peut suggérer une mutualisation du capital social des deux collectifs. Cette dynamique coopérative et associative semble se prolonger en dehors de ces deux groupes par des initiatives de rassemblement des aut·rices de science-fiction dans une perspective syndicale et de politisation du sous-champ, à l’image du Réseau des Imaginaires Révolutionnaires qui, lancé à l’occasion de l’édition 2024 des Utopiales, vise à renforcer la place du matérialisme et de l’intersectionnalité dans la littérature de science-fiction.
Ainsi, si la trajectoire des Aggloméré·e·s et des Ateliers de l’Antémonde s’inscrit dans un mouvement plus général de multiplication des collectifs au cours des deux dernières décennies, les deux groupes tendent à radicaliser ce positionnement, du fait notamment de la transposition, dans le champ littéraire, d’habitus et d’un répertoire d’action militants dans leurs pratiques du collectif. En ce sens, les deux groupes semblent incarner une forme d’exemplarité collective, comme en témoignent les références qui leur sont faites par Ketty Steward, écrivaine de science-fiction, dans son essai Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction. Proposant de réfléchir à d’« autres pratiques du récit » afin de « renouveler les pratiques de la création [32] » et, ainsi, de « réparer la science-fiction », Ketty Steward choisit de donner comme exemples de cette recherche politique et esthétique les deux projets de Subtil béton et de Bâtir aussi, avant de les ajouter à sa « La liste de lecture pour commencer à réparer la SF [33] » en clôture l’ouvrage.

III.2. Collectifs et institutions littéraires

La culture du rapport de force, inhérente aux pratiques militantes des auteurices [34] et inséparable de l’effet de nombre du groupe, détermine aussi en bonne part les relations entretenues avec les instances du champ littéraire, que l’on songe aux éditeurs ou aux festivals, selon un continuum qui va de la négociation à la conflictualité.
Si la relation avec les éditeurs, Cambourakis et L’Atalante, n’est pas de nature conflictuelle, les membres des collectifs ont obtenu plusieurs avancées contractuelles, qui vont dans le sens d’une diffusion facilitée des livres. Aude voit dans cette vigilance contractuelle « une vieille habitude de squatteurs [35] ». Elle a permis de diffuser Bâtir aussi en copyleft, l’ouvrage étant donc gratuitement et librement téléchargeable sur internet, tandis que les auteurices de Subtil béton disposent d’un nombre illimité d’exemplaires à prix auteur, qui favorise l’auto-diffusion du livre, selon le modèle de la micro-édition militante et du fanzinat. Les deux collectifs ont également négocié pour une publication rapide en format de poche, afin de rendre les livres plus accessibles.
La culture oppositionnelle de leurs membres contribue également à forger la posture critique, voire polémique, des deux collectifs vis-à-vis des institutions, en particulier les salons et festivals littéraires, comme cela a été le cas notamment au moment des Utopiales, à Nantes en 2022. Invité·es à participer à deux tables rondes, intitulées respectivement « Le plafond de verre » et « Alien, féministe ? », les membres des Aggloméré·e·s ont regretté d’être assigné·es et cantonné·es à la thématique féministe, quand leur combat se veut plus largement anticapitaliste et antifasciste. Contestant, au cours de leurs prises de parole, la programmation du festival, son fonctionnement, le modèle de la table ronde et « la starification des auteurices [36] » qu’il encourage, et feignant même de n’avoir pas vu Alien pour contester les règles du jeu qui leur sont imposées, Les Aggloméré·e·s assument alors une posture contestataire, nourrie de leur habitus militant mais aussi d’une longue tradition littéraire du scandale, au risque de la marginalisation, le collectif n’ayant pas été réinvité au festival depuis cet événement.

III.3. Après le livre, la tournée : l’écriture comme pratique et comme engagement

La dimension instrumentale de l’écriture, pensée comme un outil de réflexion et d’exploration militant, impose une double torsion à certaines normes du champ littéraire. D’une part, elle entraîne une relativisation du critère esthétique : aude explique ainsi que l’« on a décidé d’arrêter avant d’être satisfait·es pour donner de la place au processus collectif », ajoutant qu’il y a « plein d’autres choses aussi importantes que la qualité littéraire [37] ». D’autre part, elle conduit à mettre au second plan la forme-livre et l’œuvre imprimée au profit d’une conception de l’écriture comme pratique à transmettre et partager. L’œuvre n’est pas conçue comme la fin ultime de l’activité littéraire, mais elle est un moyen pour visibiliser et diffuser un mode d’écriture collectif, en atelier, dont elle est elle-même le fruit. Ainsi, la publication d’un livre a été pour ces deux collectifs l’occasion de mener une « tournée » de « plus de 70 occasions de rencontres discussions et atelier [38] » en 2022 et 2023 pour Les Aggloméré·e·s et « quatre-vingt-six “labo-fiction” en France, en Suisse et en Belgique [39] » pour Les Ateliers de l’Antémonde entre mai 2018 et décembre 2019. Prenant comme point de départ l’univers des récits, ces ateliers d’imaginaire s’attachent à explorer collectivement des « futurs désirables » dans des formats allant de 2 à 4 heures et oscillant entre le « jeu de rôle [40] » et l’« outil d’éducation populaire [41] », l’atelier d’écriture et le cercle de parole. Une fiche technique téléchargeable sur les sites des collectifs permet aux institutions intéressées de connaître la prestation proposée et témoigne en creux de la centralité de ces événements dans l’activité littéraire des deux groupes. Elle n’a rien d’étonnant dans un contexte d’essor de la littérature hors du livre ou de ce que Lionel Ruffel et Olivia Rosenthal ont nommé la « littérature exposée [42] », qui a vu le développement, encouragé institutionnellement, des résidences et des ateliers d’écriture, qui sont aujourd’hui des éléments décisifs de l’identité sociale de l’écrivain et de sa survie économique. Mais, là encore, la conduite de ces ateliers, conçue comme un engagement par les membres des collectifs, possède plusieurs spécificités. Tout d’abord, leur organisation fait partie des exigences des collectifs lorsqu’un lieu culturel ou une institution souhaite les inviter à présenter leur livre. De plus, ils sont assurés de manière bénévole : tout comme pour les droits d’auteur, les éventuelles rémunérations des ateliers sont versées sur un compte associatif servant à financer le défraiement des transports et de la nourriture pour poursuivre la tournée ou des projets extérieurs. Si la géographie de cette tournée recoupe des lieux où la pratique de l’atelier d’écriture par des écrivains est courante, comme les festivals, les institutions universitaires (l’EHESS par exemple) et même les maisons d’arrêt, on remarque une forte présence des espaces associatifs et alternatifs [43], favorisée sans doute par la multipositionnalité des aut·rices, qui s’inscrivent à la fois dans le champ militant et dans le champ artistique. Pour iels, l’enjeu est de prolonger leur propre expérience et d’« amener d’autres personnes à l’écriture [44] », en particulier des personnes minorisées, selon des modalités variables d’accueil : qu’il s’agisse de mener des ateliers avec des infirmières, dans un lycée agricole ou un teknival, de mettre en place des ateliers multilingues ou avec de jeunes enfants, ou, plus globalement, de se passer de l’écriture même, pour ne pas intimider les personnes les moins dotées scolairement et culturellement, à l’image des labo-fictions menées par les Ateliers de l’Antémonde, ou de reconduire, pour ce qui est des Aggloméré·e·s, l’écriture en non-mixité par l’organisation d’ateliers d’écriture menés uniquement en « mixité choisie sur critères queer/féministes [45] », comme le définissent les membres du collectif. Conçus comme des gestes de démocratisation de l’écriture ou, plus largement, de la fiction et de la spéculation, qui renouent peut-être, selon des modalités neuves, avec le rêve avant-gardiste d’une littérature faite par tous, ces dispositifs sont pensés plus largement comme des outils de politisation et d’émancipation. À l’instar des ateliers qui sont à l’origine des livres, il s’agit d’encourager des dynamiques d’empowerment féministe et de care, de recherches de futurs désirables anticapitalistes et antifascistes, d’ouvertures de trouées utopiques, dont l’efficace politique reste à interroger mais repose, d’après les aut·rices des deux collectifs, sur la conviction partagée que ces rencontres peuvent « contribuer au changement social [46] » et sur « la sensation d’un travail syndical en train de se faire [47] », comme l’écrivent Les Ateliers de l’Antémonde dans un texte qui dresse le bilan de leurs activités.

Conclusion

Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’Antémonde constituent des cas d’autant plus remarquables de l’histoire littéraire que leur trajectoire et leur posture sont étonnamment similaires. Militant·es aguerri·es mais aut·rices débutant·es, leurs membres ont eu recours à l’écriture et à la fiction comme outil de réflexion et d’avancée politique. D’un atelier l’autre, ces projets au long cours ont débouché sur la publication d’un roman et d’un recueil de nouvelles, véritables « fictions sororales », qui se prolongent depuis en ateliers d’écriture ou de parole ayant pour vocation de diffuser la pratique littéraire le plus largement possible, et de prolonger cette expérience imaginaire collective, selon un ancrage idéologique anticapitaliste, féministe et antifasciste. En ce sens, les Ateliers de l’Antémonde et plus encore Les Aggloméré·e·s, composés uniquement de personnes minorisées, élaborent une posture d’une grande cohérence, entre sa composante interne (ethos des narrat·rices dans la fiction) et sa composante externe (prise de parole et interventions des aut·rices). Elle repose notamment sur cet arrière-fond idéologique commun et les homologies existantes entre personnel narratif et aut·rices, ainsi que sur la primauté accordée au collectif, qui se manifeste autant dans la polyphonie des textes que dans les pratiques d’écriture et les modes de présence des écrivain·es dans le champ littéraire. C’est en ce sens qu’on peut, dans le sillage des travaux de Margot Châtelet, inscrire Les Ateliers de l’Antémonde et plus encore Les Aggloméré·e·s dans ce qu’elle nomme le troisième pan des « contre-communautés SF », où l’écriture collective est pensée comme « sororité auctoriale [48] ». Il faut toutefois noter que l’imaginaire oppositionnel de l’expression ne doit pas masquer les conditions de possibilité de cette éclosion, qui se situent à la fois dans l’histoire du genre et dans l’état du champ contemporain. Les livres, les auteurices qui les portent, leurs revendications et leurs pratiques coïncident avec un ensemble de possibles ou d’options aujourd’hui disponibles dans le champ contemporain et en particulier dans le sous-champ science-fictionnel : la question féministe [49], les enjeux de réparation et de care [50], la recherche de futurs désirables et d’utopies [51] figurent ainsi en bonne place, depuis plusieurs années, dans les catalogues des éditeurs et la programmation des festivals, de même que le renouveau de l’écriture collective et l’essor de la littérature hors du livre correspondent à des tendances de fond du moment littéraire actuel. La présence de Subtil béton dans la sélection finale du prix des Utopiales en 2022 témoigne, en plus d’un hommage à la qualité intrinsèque du livre, de l’importance symbolique de ces enjeux, y compris pour les acteurs les plus institutionnalisés de l’espace science-fictionnel. Mais, par l’habitus militant de leurs membres et le répertoire d’action dans lequel iels peuvent puiser, Les Ateliers de l’Antémonde et Les Aggloméré·e·s contribuent à radicaliser ces options et ce positionnement et à en empêcher la neutralisation politique, dans une forme d’exemplarité qui tend à redistribuer les positions des agent·es occupant des positions proches. Si cette posture offre les atours symboliques de la radicalité, elle court en même temps le risque de la marginalisation [52], en l’absence de stratégie de publication régulière et par la conflictualité institutionnelle qu’elle peut engendrer.


[1Les Aggloméré·e·s, « Subtil béton par Subtil béton », Subtil béton, Nantes, L’Atalante, « L’Atalante Poche », 2022, p. 493. Désormais abrégé SB

[2Sur l’histoire, les formes et les enjeux des ateliers d’écriture en littérature contemporaine, voir notamment : Violaine Houdart-Mérot, La Création littéraire à l’université, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2019 ; Anne Roche, Andrée Guiguet, Nicole Voltz, L’Atelier d’écriture : éléments pour la rédaction du texte littéraire, Paris, Armand Colin, 2023.

[3« Subtil béton et les amitiés politiques », La voix sans maître, émission diffusée le 11 octobre 2022 sur Radio Campus Lille. URL : https://subtilbeton.org/spip.php?article141.

[4Avant-textes disponibles sur le site des Aggloméré·e·s : https://subtilbeton.org/IMG/pdf/premierjets-koma1.pdf. Je reprends ici la phrase telle qu’elle apparaît dans le texte, sans correction.

[5Ainsi, alors que la première n’en contient aucune, la deuxième mouture du fragment consacré à Faz contient pas moins de huit occurrences du terme « poisson », utilisé le plus souvent dans un emploi métaphorique associant les personnes présentes dans la gare à de « petits poissons pressés ». Certains usages métaphoriques sont plus arbitraires et manifestent avant tout le désir de respecter la contrainte ludique choisie pour l’exercice. Ainsi, après être montée dans la voiture où elle rencontre pour la première fois les membres de la cellule clandestine, Faz entend d’étranges bruits venant du radiateur, qui lui font dire : « vous avez des poissons dans le radiateur, à ce que je vois ». Le mot en vient à saturer la conscience du personnage et le texte, qui s’achève sur une ultime occurrence, au sein d’un commentaire méta-textuel qui témoigne ironiquement de cette surcharge : « je suis pourtant là pour vivre et agir avec vous, dans ce roman de science-fiction bourré de poissons ». La version finale du texte, telle qu’elle apparaît dans le roman, ne compte plus aucune occurrence du mot « poisson », même si une œuvre d’art en métal, située sur le plafond de la gare et tout entière constituée d’« écailles polies » (SB, p. 72), y est décrite dans le premier paragraphe. La disparition du mot et de ses emplois métaphoriques traduit le travail important de réécriture qui a été fait par la suite, afin d’éviter la saturation de ce motif dans le roman, et manifeste aussi l’évolution du rapport à la contrainte au cours du projet d’écriture : impulsion créatrice unifiante d’abord, permettant d’amorcer le tramage romanesque de textes épars et écrits par différentes personnes, puis trace textuelle à atténuer pour échapper aux redondances.

[6Aude explique ainsi que le goût de la science-fiction, américaine notamment, lui a été transmis par son père. D’autres membres du groupe partagent cette disposition héritée dans le cadre familial. Il faut également noter que, parmi les trois premières participantes au projet, deux ont suivi des études supérieures de premier cycle, en sociologie et en arts du spectacle (Entretien avec aude, réalisé le 6 novembre 2024, par téléphone). L’absence de majuscule à certains prénoms, d’aut·rice ou de personnage, correspond au choix des écrivain·es.

[7Les Ateliers de l’Antémonde, « Postface. Construire sur les ruines du système. Vers une technologie libératrice ? »,
Bâtir aussi, Paris, Éditions Cambourakis, « Sorcières », 2019 [2018], p. 308. Désormais abrégé BA.

[8On peut penser aux « FoPu », les forces de l’ordre de ce régime autoritaire franconien ou aux « combis », objets connectés contenant toutes les informations propres à chaque citoyen·ne, indispensables à leur libre circulation et à leur consommation.

[9Pour une mise au point historique sur ces complémentarités, voir Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée, « Actualité de l’utopie », in Jean-Paul Engélibert et Raphaëlle Guidée (dir.), Utopie et catastrophe. Revers et renaissances de l’utopie (XVIe-XXIe siècle), p. 7-21.

[10Voir Les Ateliers de l’antémonde, « Manufacture des utopies », mars 2020, URL : https://antemonde.org/textes/manufacture-des-utopies/. L’expression est également reprise dans le roman Subtil béton, témoignant des affinités entre ces deux projets (SB, p. 390).

[11Benoît Peeters, « Écrire ensemble. Un projet inachevé », Christian Estrade (coord.), « Lire et écrire ensemble. Hommage à Michel Lafon », ILCEA, n°24, 2015, URL : https://journals.openedition.org/ilcea/3523?lang=en.

[12Voir Margot Châtelet, « Des contre-communautés SF : les sororités plurielles de la science-fiction littéraire », à paraître. La chercheuse y étudie notamment ce qu’elle appelle des « fictions sororales » en science-fiction, à l’image d’Agrapha de luvan ou de Viendra le temps du feu de Wendy Delorme, et propose d’en identifier plusieurs critères distinctifs, et en particulier « la désincarcération de la parole des minorisé·es, la voix des dominé·es comme langage performatif, et l’expression d’un feminist, voire d’un queer gaze ». S’il faudrait discuter la nature de la performativité du langage dans les deux récits que nous étudions ici, qui semble d’un autre ordre, ces critères s’appliquent tout à fait à Bâtir aussi et Subtil béton.

[13Il s’agit de Vinyl, le frère d’onik, dont le nom n’apparaît toutefois en tête de section que dans deux cas, et de Sterne, le fils d’Izem, qui n’a que dix ans.

[14Concept proposé par la chercheuse Azélie Fayolle en opposition avec celui de male gaze, dans son ouvrage Des femmes et du style. Pour un feminist gaze, Paris, Divergences, 2023.

[15C’est le cas par exemple du compagnon de Mariana, Ray, qualifié de « débile » (SB, p. 280) ou de « vieux lourd » (SB, p. 246), dont elle en vient à souhaiter se séparer. On peut citer encore Jean-Mich, un salarié en grève dans le secteur des transports aux propos paternalistes et sexistes.

[16Voir Les Aggloméré·e·s, « Démasculinisation : la langue est une chose vivante ! », URL : https://subtilbeton.org/spip.php?article27.

[17Pour le personnage d’onik, cela passe par exemple par l’usage d’apostrophes (« des militant’e’s », SB, p. 59), Faz emploie le point médian, Koma le « E » majuscule (« ChacunE », SB, p. 139)…

[18Voir https://subtilbeton.org/spip.php?rubrique13. On retrouve par exemple Annie Ernaux dans le lieu « L’Ânière Neaux ». D’autres références, à Sabrina Calvo par exemple, apparaissent dans différentes productions cartographiques du collectif.

[19Onik, dans Subtil béton, dit en avoir « marre que l’activisme dicte tout / il n’y a d’amitié que politique, c’est ça ? » (SB, p. 64).

[20Dans Bâtir aussi, un personnage déclare : « Ce matin sous ma couette, j’étais démotivée d’avance : trop de réunions tue la réunion » (BA, p. 146), un autre dit : « Les réunions, je ne sais pas pourquoi, en ce moment j’en peux plus » (BA, p. 284), tandis que Zoé hurle intérieurement dans Subtil béton : « Je déteste les réuuus ! » (SB, p. 290).

[21Dans Subtil béton, Koma se dit : « Des fois elle a l’impression que leur vie collective est basée sur une mentalité d’entreprise où quoi qu’il en coûte il faut rester productive et sourire » (SB, p. 58), tandis que dans Bâtir aussi, Théo, un fabricant de vélas, s’emporte contre Marta en disant : « J’ai pas envie de faire du monotâche toute ma vie pour contenter les théoriciennes de la révolution » (BA, p. 250).

[22À la fin de la nouvelle « Phoenix », qui nous fait suivre les événements révolutionnaires de l’Haraka depuis une station radio, les discussions stratégiques multiplient les recours à cette modalité. On note ainsi, sur une même page : « il faut », répété quatre fois, « tu dois », « on doit », « on va devoir » (BA, p. 98).

[23Il est à noter que les éditions de l’Atalante ont d’ailleurs demandé aux auteurices de Subtil béton de supprimer un certain nombre de marques de ponctuation forte, trop présentes dans les dialogues.

[24Pour une mise au point sur cette question en science-fiction, voir Charline Pluvinet, « Inventer le futur en collectif : stratégies auctoriales à rebours de la singularisation dans la littérature de science-fiction contemporaine », Recherches & Travaux, n°103, 2023, URL : http://journals.openedition.org/recherchestravaux/7066.

[25Pour une mise au point plus globale sur le renouveau des écritures collectives en littérature contemporaine, voir les actes du colloque « La littérature contemporaine au collectif », sous la direction d’Anthony Glinoer et Michel Lacroix, Fabula/Les colloques, 2020, https://www.fabula.org/colloques/sommaire6671.php.

[26Pour une mise au point sur l’imaginaire des collectifs contemporains, je renvoie à mon article « Entre la ZAD et la start-up : les collectifs littéraires à l’épreuve du XXIe siècle », Fabula / Les colloques, « Ecritures ex-situ : le collectif, le dehors et l’ailleurs, Une décennie de littérature en France (2010-2021). Déplacements de la critique et de la narration » (dir. Aurélie Adler), 2024, URL : http://www.fabula.org/colloques/document11888.php.

[27« Cette démarche collective nous ressemblait, parce que nous étions portéEs depuis des années par des collectifs anti-autoritaires où nous cherchions l’horizontalité dans les relations et les tâches, dans la circulation des pensées », Les Ateliers de l’antémonde, « Manufacture des utopies », art. cit.

[28L’une des membres des Aggloméré·e·s déclare par exemple : « L’auteur seul, ça n’existe pas, c’est du bidon », lors de l’émission radio « La voix sans maître », art. cit. Elles affirment également, dans un entretien pour la revue Usbek et Rica : « C’est aussi une démarche politique que de remettre en cause le rôle de l’auteur solitaire, figure mythique. Cette image, qui aboutit à une starification, est un mythe car de nombreuses personnes aident les auteurices, les soutiennent, les documentent, inspirent leur travail » (Les Aggloméré·e·s, « Les récits d’anticipation dystopiques façonnent souvent une résignation », entretien avec Antoine Saint-Épondyle, Usbek et Rica, 8 avril 2023, URL : https://usbeketrica.com/fr/article/les-recits-d-anticipation-dystopiques-faconnent-souvent-une-resignation.)

[29L’une des membres des Aggloméré·e·s constate ainsi : « nous ne pouvons absolument plus dire qui a écrit quoi » (Id.).

[30Pour une proposition théorique autour du concept de posture collective, dans le sillage des travaux de Jérôme Meizoz, je renvoie à mon article : « Peut-on penser une posture collective ? Tentative de théorisation à travers l’exemple du collectif inculte », Elfe XX-XXI, n°10, 2021, URL : http://journals.openedition.org/elfe/3364.

[31D’après les informations disponibles sur les sites des deux collectifs, on dénombre plus d’une vingtaine de lieux d’intervention communs, à des dates différentes.

[32Ketty Steward, Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction, Rennes, Éditions de l’Inframonde, 2023, p. 172.

[33Ibid., p. 199.

[34L’expression « rapport de force » est souvent utilisée par les auteurices des collectifs dans leurs interventions publiques et leurs entretiens. Il est intéressant de noter qu’il est aussi régulièrement au cœur des échanges entre les personnages de leurs livres, en particulier de Subtil béton, témoignant d’un alignement postural intéressant (voir SB, p. 192, 225, 227, 238, 268, 270).

[35Entretien avec aude, par téléphone, le 6 novembre 2024.

[36Propos tenus lors d’un entretien pour la revue Usbek et Rica, que l’on peut également entendre durant les tables-rondes en question. Voir Les Aggloméré·e·s, « Les récits d’anticipation dystopiques façonnent souvent une résignation », art. cit.

[37Entretien avec aude, par téléphone, le 6 novembre 2024.

[38Les Aggloméré·e·s, « Prochaines tournées des Aggloméré·e·s ? », 2023 : https://subtilbeton.org/spip.php?article56.

[39Les Ateliers de l’Antémonde, « Manufacture des utopies », art. cit.

[40Les deux collectifs recourent volontiers à cette image pour décrire la démarche de leur atelier. Voir notamment « Subtil béton et les amitiés politiques », émission « La voix sans maître », art. cit.

[41Les Ateliers de l’Antémonde, « Manufacture des utopies », art. cit.

[42Lionel Ruffel et Olivia Rosenthal (dir.), La littérature exposée. Les littératures contemporaines hors du livre, Littérature, n°160, décembre 2010.

[43On peut citer le centre social de La Baf à Grenoble, l’espace autogéré des Tanneries à Dijon, le squat La Pigeonne à Strasbourg, l’espace autogéré Au Local à Douarnenez, ou encore L’Affranchie à Mandres-en-Barrois, un lieu collectif de lutte contre CIGEO.

[44« Subtil béton et les amitiés politiques », émission « La voix sans maître », art. cit.

[45Propos issus d’un entretien par mail avec aude, le 1e septembre 2023.

[46Allan Dujiperou, « Entretien avec Les Aggloméré·e·s », Fantastinet, 21 novembre 2022, https://www.fantastinet.com/entretien-avec-les-agglomere%C2%B7e%C2%B7s/.

[47Les Ateliers de l’Antémonde, « Manufacture des utopies », art. cit.

[48Margot Châtelet distingue, dans son article, un premier pan composé du fandom féministe, tel qui s’est progressivement constitué et renforcé depuis la naissance du genre, un deuxième regroupant de fictions pseudo-utopiques sororales à l’image des Guerrillères de Monique Wittig ou de Quand viendra le temps du feu de Wendy Delorme. Le troisième pan constitue en quelque sorte la convergence des deux premiers, en temps qu’il mêle fictions et pratiques, contre-communautés dans le livre et hors du livre. Voir Margot Châtelet, « Des contre-communautés SF : les sororités plurielles de la science-fiction littéraire », à paraître.

[49L’importance acquise par la figure d’Ursula K. Le Guin, largement revendiquée par les deux collectifs, est un des témoignages de l’actualité de la question féministe dans le sous-champ science-fictionnel. Voir, à ce sujet, le dossier « Ursula K. Le Guin : féminisme et science-fiction », paru en 2019 dans le numéro 13 de la revue ReS Futurae, sous la direction de Valérie Stiénon et Magali Nachtergael, URL : https://journals.openedition.org/resf/1192.

[50Voir par exemple Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, José Corti, 2017. Ou, pour ce qui est de la science-fiction, l’essai de Ketty Steward, Le Futur au pluriel : réparer la science-fiction, op. cit.

[51On peut penser au succès mondial du cycle des Moines et des Robots de Becky Chambers ainsi qu’à la création de différentes collections, comme « Eutopia » à La Volte depuis 2018, consacrées aux écritures utopiques.

[52Il faut toutefois noter que la multipositionnalité des aut·rices leur permet d’accéder à d’autres espaces éditoriaux, notamment dans la petite édition militante, dont il faudrait interroger les jeux de circulation et d’échange, les formes de porosité avec le champ littéraire. Plusieurs d’entre iels sont ainsi impliqué·es dans la revue de théorie critique Timult et dans le collectif L’Atelier des passages (auteur, en 2022, de Révolutionnaires. Récits pour une approche féministe de l’engagement, paru aux éditions du Commun), deux projets qui accordent une place importante aux récits de soi dans une perspective politique et ne sont donc pas sans lien avec les ouvrages de fiction écrits par Les Aggloméré·e·s et Les Ateliers de l’Antémonde.