SUBTIL BÉTON
les Aggloméré·e·s

Un roman d’anticipation fabriqué à plusieurs mains.

REVUE DE PRESSE

Blog - LECTURE FABULEUSES - novembre 2022

« J’ai commencé la lecture de Subtil Béton avec beaucoup trop d’attentes. Note pour moi-même : arrêter de placer tant d’espoir dans les romans super-militants. »

Subtil Béton de Collectif Aggloméré·e·s - Blog Elaine V. Ker, Lectures Fabuleuses - Publié le 24 novembre 2022

Vous pouvez lire l’article original directement sur le blog de Elaine V. Ker.

Subtil Béton de Collectif Aggloméré·e·s

J’ai commencé la lecture de Subtil Béton avec beaucoup trop d’attentes. Note pour moi-même : arrêter de placer tant d’espoir dans les romans super-militants. Ce que j’aime, c’est les aventures fun, pas les livres qui se gargarisent de leur complexité − et certes, j’ai lu pas mal d’aventures fun avec des messages complexes. Subtil Béton m’avait été présenté comme un récit de révolte collective et associative dans une dystopie française en 2039, avec des personnages ace, polyA, trans… Je m’étais dit que ça me parlerait.

J’ai senti le problème dès le début : un gros déphasage sur l’écriture. C’est une plume très populaire dans les fanzines, un genre poétique-déconstruit, avec de nouvelles formes de phrases, des métaphores filées, une ponctuation révolutionnaire, des pronoms et des points de vue qui s’entremêlent. Je peux apprécier quand c’est un texte d’une page, mais sur un roman qui en fait six cent ?

De plus, le ton était très sérieux, l’ambiance sinistre : dans les livres qui parlent de révolte, j’aime ressentir de l’entrain, de l’enthousiasme, et surtout, de l’espoir. Ici, c’est plutôt la morosité et la résignation. Ça s’ouvre sur une révolte étudiante qui tourne au massacre, puis, deux ans plus tard, les luttes se sont dispersées, les révolté·es se cachent : difficile de coordonner une action. Que faire, alors que la politique franconienne est de plus en plus fasciste ?

Subtil Béton retransmet à la perfection l’ambiance de l’organisation du militantisme : horrible. J’ai retrouvé le sentiment que j’éprouve durant les réunions interminables où on vérifie bien que tout le monde s’est exprimé, qu’on ne fait rien d’oppressif, et du coup… qu’on ne fait rien du tout. Les débats qui s’étirent, s’étirent, s’étirent sur des points insignifiants. Les groupes aux objectifs variés qui essaient de s’unir pour une action commune, et se perdent dans les protocoles comme les questions d’égo. Une représentation parfaite, à la fois factuellement et émotionnellement. Ça m’a fait plaisir, de voir cette situation dépeinte, et en même temps, qu’est-ce que c’est déprimant !

Malheureusement, il n’y a pas l’autre pendant : la solidarité, l’humour, l’enthousiasme, les idées qui fusent, le réconfort. Le sentiment de communauté. Je le vois pourtant dans ma vie ; même quand ça va pas, il y a toujours quelqu’un pour râler qu’on est six (cis) à la réunion. On se confie, on s’entraide. On s’envoie des messages pour se conseiller de bien s’hydrater, et on a cette impression d’être au sein d’une famille, qu’il y a des gens pour prendre soin de nous. Il y a une ou deux scènes comme ça dans Subtil Béton, mais pas assez pour contrebalancer le reste, pas assez pour refléter ma réalité.

Dans ma première version de cet article, je râlais beaucoup sur le flou de la représentation. Fantastiqueer répertorie Subtil Béton comme ayant des personnages principaux polyA et aro ace : ah bon ? Je ne les ai pas captés.

Mais je ne pense pas que ça soit un problème de représentation en particulier : à mon avis, c’est une extension de ce que je critiquais précédemment. J’étais perdue dans les points de vue, alors difficile d’identifier les personnages ! Et comme il y a très peu de scènes d’affection et de solidarité, difficile de capter quelqu’un comme polyA et aroace, deux vécus qui se basent sur le relationnel. Il y a un personnage secondaire qui couche à droite à gauche en rendant tout le monde jaloux·se, mais que personne ne s’autorise à critiquer parce que l’anarchisme relationnel, c’est censé être militant : j’ai détesté.

J’ai cependant aimé qu’on suive plusieurs points de vue, qui ancrent l’histoire dans de l’émotionnel, donnant à la fois une vision globale et individuelle. A travers les scènes de quotidien des communautés cachées et des associations militantes, Subtil Béton propose des idées et exemples concrets de ce que ça peut être, l’anarchisme. C’est bien d’être contre les prisons et la police, mais qu’est-ce qu’on fait, quand un manifestant en agresse une autre ? Et s’il n’y a pas de dirigeant·e, qui prend les décisions quand personne n’est d’accord ?

Seulement, avec ses nombreuses réunions militantes vides, le livre en vient, comme dans la vraie vie, à avoir peu de conclusions. On nous montre tous les points de vues et difficultés : oui, on est anti-validistes alors on ne peut pas exiger de performance des militant·es, mais bon, quand même une réunion de neuf heures, c’est si galvanisant – oui, oui, c’est un vrai exemple. Et puis, les handis qui ont la possibilité d’avoir des aménagements, ils sont privilégiés par rapport aux autres ! Ils n’ont pas le droit de lancer plus d’actions militantes, c’est injuste pour celleux qui ne peuvent pas. De point de vue opposé en point de vue opposé, on s’y perd : que veut nous transmettre ce roman, en fin de compte ?

Peut-être que Subtil Béton veut juste montrer la complexité de la réalité, et en ça, c’est une vraie réussite. Mais dans un récit de révolution, j’aurais aimé davantage qu’un constat. J’aurais voulu une prise de position.

Les précisions de la note de fin étaient intéressantes, et notamment, le fait que les autrices ont dû modifier leur univers au fur et à mesure que les lois autoritaires qu’elles inventaient devenaient une réalité. J’étais aussi choquée de constater que le livre a été écrit sur quinze ans !

Subtil Béton est un roman difficile à lire, à la fois par son ambiance sinistre et son style alambiqué. Toutefois, c’est une représentation très juste des difficultés militantes et de la complexité des questions à prendre en compte pour une société meilleure. J’aurais toutefois préféré qu’il montre davantage la solidarité des communautés révolutionnaires, et propose un avis plus tranché sur les situations présentées. Se révolter ne vient pas que d’une critique de la situation actuelle, mais aussi d’un espoir d’un monde meilleur, et cette deuxième facette est quasi-absente du récit.

Tant Qu’il le Faudra est une trilogie qui, pour moi, atteint l’objectif que Subtil Béton manque, tout comme Un Pays de Fantômes.

Avertissements : violences policières, meurtres, queerphobie, racisme, validisme

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Étiquettes fantasy/fantastique/science-fiction, perso neurodivergent, perso racisé, perso trans