SUBTIL BÉTON
les Aggloméré·e·s

Un roman d’anticipation fabriqué à plusieurs mains.

« Mais, c’est le début d’un roman ! »

La maison du bout du monde

Koma est prise dans son collectif comme les petits poissons du jardin dans la mare gelée.

Apparition de Koma

Un premier jet en atelier d’écriture :

 

Un deuxième jet dans l’atelier suivant :

 

Puis, quelques mois plus tard, un chapitre dans sa première version…

Koma — La maison du bout du monde

Beaucoup d’habitant-e-s, Petite maison, grand jardin. Ça pourrait commencer bien parce que c’est beau les petites maisons et que c’est génial les grands jardins… Ell-eux sont arrivé-e-s ici il y a cinq mois, trois semaines et deux jours. C’était l’été et maintenant c’est l’hiver jusqu’au cœur de cette petite maison où l’empilement d’humain-e-s, vélos, casseroles, lance-flamme, couvertures, chats, poêle à bois et à gaz ne parvient pas à rendre l’atmosphère plus chaleureuse, bien au contraire. En plus ce grand jardin inutilisable est perdu, isolé au milieu d’un immense terrain vague, lui-même posé en périphérie d’une grande ville. 10 km. Une heure de vélo. « Le vent qui vient pousser sa plainte lugubre en a rendu plus d’un-e fou-folle, à force de ne pas s’arrêter », comme racontent le couple de vieux qui habitent le hameau plus loin. Ce vent charrie sans cesse l’odeur des marées et des bateaux de pêche qui viennent déposer leurs milliers de cadavres à cinq kilomètres de là. C’est presque pire quand cette longue homélie cesse et qu’un silence pesant, oppressant, qui envahit chaque recoin le remplace. Quand cela se produit elle a envie d’hurler, de ne plus jamais s’arrêter d’ hurler pour recouvrir leur(s) silence. Si elle osait faire ça, elle se dit que les autres seraient obligé-e-s de les entendre, elle et son mal-être qui croit de jour en jour.
Cela fait cinq mois, trois semaines et deux jours qu’elle vit ici avec ces gent-e-s, elle a l’impression que leurs relations sont toujours les mêmes. Stagnation intolérable. Cela fait déjà longtemps qu’ell-eux vivent et mènent des projets ensemble. L’incendie de leur ancienne maison, déclenché par les milices du gouvernement, les a poussé-e-s à clarifier leurs envies. Ell-eux se sont engagé-e-s dans un processus de clandestinité. Déménager, rompre le contact avec ses connaissances, changer de look, changer de vie. Elle les a suivi un peu par hasard, un peu parce qu’elle ne savait pas quoi faire d’autre. Et puis le contexte politique, l’augmentation de la répression contre les espaces autonomes l’a convaincue, elle aussi, de l’urgence de disparaître de la « scène politique visible », pour mieux se concentrer sur des actions ciblées et discrètes. Ses cohabitant-e-s avaient été surpris-e-s qu’elle veuille les suivre, quand d’autres personnes plus « proches » quittaient le collectif. Comme on avait rien de précis à lui reprocher, qu’entre ses périodes de mutisme elle s’était avérée plutôt agréable illes étaient resté-e-s ensemble.
Maintenant elle ne sait pas trop si elle a encore envie d’être là. Ça ne se passe pas très bien pour elle car elle se sent à côté de la plaque. La plaque ? Cette bande de huit ami-e-s de toujours, semble-t-il . Elle les connaît depuis longtemps, mais elle n’arrive pas à ce débarrasser de la sensation que quoi qu’elle dise ou fasse jamais elle ne parviendra à pénétrer cette bulle d’intimité et de complicité qu’ell-eux se sont bâti, et dans laquelle ell-eux semblent flotter douillettement. Elle leur en veut silencieusement de lui laisser cette position compliquée, suffisamment proche pour pouvoir admirer la cohérence de leurs idées politiques, trop lointaine pour se sentir réellement bien en leur compagnie.
Elle regarde agoniser les poissons rouges, pris par les glaces dans la mare du fond du jardin. Elle pourrait décider de les délivrer, mais elle a jamais aimé les poissons, et cela l’amuse trop de les voir se débattre refusant leur mort annoncée. Elle en vient à haïr ce décor de mauvais film, ce bout du monde ravagé ou personne ne semble se souvenir d’eux. Où elle se sent si seule, pièce rapportée des années en arrière par Thor, qui semble regretter de faire subir à ses cohabitant-e-s sa présence. Charismatique Thor a qui personne ne reproche jamais rien. Pas même sa gestion pourrie des relations floues qu’elle entretien avec ses cohabitant-e-s. Tour à tour séductrice, autoritaire, distante…
Elle pourrait fuir. Des fois, elle pense à Onik qui doit avoir une vie bien triste maintenant qu’ell-eux sont parti-e-s. Peut-être perdue entre le restaurant et sa maison, son petit frère schizophrène et les client-e-s grossier-e-s. Est-ce qu’elle accepterait de l’héberger ? Elles pourraient s’organiser toutes les deux, ce qui serait sûrement mieux que ce groupe où elle se sent en marge, délaissée. Elle se dit que sinon la mer est proche, qu’elle irait bien au bord de la mer, qu’elle pourrait monter sur la falaise et se jeter dans le grand aquarium. Elle ne le fait pas. Peur de la mort ou amour propre ? De toute manière, elle ne peut pas se permettre de durcir encore la vie de ses proches avec sa mort, alors que tout est déjà tellement compliqué. Et il y a les petits, Kira et Dudu. Elle sent que cela ne la satisfait pas de prendre ce rôle de tata-nounou à qui l’on ne s’intéresse pas, sauf pour lui demander de passer du temps avec les enfants. Pourtant elle est contente de soutenir Izème à qui ce rôle de mère revient malgré tout.
Elle se dit qu’elle aurait qu’à attendre un peu, encore un peu, voir si vraiment ça pourrait pas coller. Retarde l’échéance. Elle feinte, se balade un peu, respire d’autres atmosphères. Parfois elle refait le chemin inverse de celui qui les a conduit-e-s jusqu’ici. Elle reprend son vélo, retrace les longs détours pour arriver enfin devant le terrain vague : leur ancienne maison, à côté de la gare. Elle est conscient-e-s que les autres, sans doute, la découperaient en morceaux si ell-eux avaient vent de ses « promenades ». Mais elle se rassure en se disant que personne ne peut la reconnaître, silhouette anonyme, engoncée dans son énorme bonnet rouge à pompon qui lui masque complètement les cheveux et une partie du visage. Comme avant, elle fait ensuite un détour par la grande gare métallique et minérale, pour regarder les horaires de trains qu’elle ne prend pas. Elle aimerait rencontrer quelqu’un-e à qui parler du froid et des poissons maintenant congelés au fond du jardin. Pas de chance, les personnes ici semblent trop préoccupées par leur propre survie pour pouvoir accorder ne serait-ce qu’un regard à cette drôle de fille et son inséparable bonnet rouge. Son attente déçue, elle se dirige vers le PMU de la gare, où elle se sent en sécurité malgré les attaques répétées des insupportables piliers de bars qui semblent penser qu’une femme seule est forcément disponible et consentante. Elle les envoie bouler de plus en plus sèchement sous le regard indifférent de la patronne qui en a vu d’autres et qui ne l’aidera pas quoi qu’il advienne.
Elle se dit qu’elle a toujours trouvé ça nul les groupes d’ami-e-s, qu’ils sont attirants en apparence mais gangrenés de l’intérieur. Elle se dit qu’elle est bien comme ça, en électron libre, qu’elle est seule parce qu’elle l’a voulu. Le genre de fille qui n’a besoin de personne. Trop forte. Non… en fait elle est emmurée dans son silence, elle en a conscience mais ne sait pas comment se sortir de cette impasse. Elle n’a pas envie d’être celle qui déchirerait cette apparence de « bonne entente » en forçant les autres à tenir compte de son mal-être. Elle les entend déjà lui répondre un peu gêné-e-s : « On s’est rendu-e-s compte que tu n’allais pas trop bien, c’est vrai qu’on a pas cherché à en savoir plus mais tu sais c’était pas par indifférence. On vit tellement dans l’urgence ». Alors elle ne dit rien et tout continue. Les quelques moments passés avec Kira et Dudu ne parviennent plus à lui faire oublier la monotonie de son quotidien. Le silence radio à l’intérieur de la maison, ses longues journées solitaires dans sa chambre sous les toits.

 

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