SUBTIL BÉTON
les Aggloméré·e·s

Un roman d’anticipation fabriqué à plusieurs mains.

Quelques extraits

KOMA

Beaucoup d’habitantEs petite maison grand jardin. Ça pourrait commencer bien parce que c’est beau les…

… petites maisons et que c’est génial les grands jardins. Mais c’est l’hiver jusqu’au cœur du salon où l’empilement des choses ne suffit pas à réchauffer l’atmosphère. HumainEs souris vélos casseroles puces électroniques conserves claviers combis et autre fatras informatique.
Dehors un fouillis de planches et de tôles. Une étendue d’herbe pâle. Avec la petite mare et le taillis sombre au fond. Sur les deux côtés quelques arbrisseaux. Rachitiques. Qui délimitent à peine le jardin du terrain vague autour. Tout gris. Tout froid. Périphérie de la grande ville. Quinze kilomètres. Une bonne heure de vélo contre le vent avec ses plaintes lugubres et l’odeur de la marée. Et c’est encore pire lorsque l’air tombe droit. Ça devient moite. Dans ces moments-là Koma a envie de se faire mal. Quelque chose de brutal pour déchirer le silence. Ou disparaître pour de bon.

 

 

Quelle heure est-il ? La véranda est glaciale. Koma cherche machinalement le combi dans la poche intérieure de son blouson mais n’y trouve que son élastique à cheveux. Il est deux ans. Deux ans pile après le premier jour de l’Insurrection. Ou après le drame du lycée Douillet. C’est selon. Deux ans et tant d’assassinats depuis qui ont fait oublier les ados abattuEs par la police ce matin-là. Koma doit faire un effort pour se rappeler l’émotion scandée des manifestations en hommage à ces premiÈres martyrEs. La foule ne cessait de grossir et l’espoir du basculement faisait encore trembler les murs. Pas pour longtemps.
Hôtels gymnases et stades avaient été réquisitionnés parce que les taules débordaient. Littéralement. Vingt-sept mille arrestations en moins de trois mois à l’échelle de la Franco. Si on se contentait des chiffres officiels. Ça pouvait aussi bien être le double. Et des disparitions niées par le régime mais déjà innombrables. A minima plusieurs centaines. Des camarades que l’on cessait simplement de voir. Du jour au lendemain. Koma et les autres avaient attendu Meg en vain. Meg avec qui Koma avait découvert la lutte les manifs le féminisme. Meg n’était jamais rentrée. Pas de procès. Pas de signalement. Une simple absence. Ses parents ne savaient rien non plus. Un avis de recherche pour la forme. Et puis ça avait été le tour de Silas puis de Jojo puis de Candice. Des dizaines de noms égrenés. Des photos brandies en points d’interrogation. Des heures à fixer la porte.
Au début on avait couru en tous sens et beaucoup pleuré. C’était la panique. Un mélange de douleur et de rage impuissante. On ne savait pas s’il fallait se terrer dans les caves ou arpenter la ville en vociférant. On avait fait un peu les deux. Puis le programme de Dispersion avait été officialisé et les rafles s’étaient systématisées. Ayant fini de vider la rue le gouvernement avait beau jeu d’annoncer la fin des arrestations de masse et de se vanter de méthodes plus ciblées. La traque des vraiEs ennemiEs de la société. Un jour les syndicalistes. Le lendemain les antinationaux ou la jeunesse autonome.
Il n’y avait pas eu d’autre choix que de sécher ses larmes. Combis blocs et autres machines connectées avaient été repliées en mode minimal. Les slogans s’étaient fait murmures. Les tracts griffonnés et passés de la main à la main. Il fallait glorifier les personnes qui tombaient. C’était la lutte et elles avaient choisi. Elles n’auraient pas voulu voir les camarades se lamenter ni sombrer dans l’apathie. Il fallait continuer. Ne pas se faire prendre. Quitter la ville…

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