SUBTIL BÉTON
les Aggloméré·e·s

Un roman d’anticipation fabriqué à plusieurs mains.

Quelques extraits

PEDRO

Réunion. Trépignapignapignations. Nous sommes cinq autour de la table. Nous attendons la…

… sixième : Faz. Nous ne lancerons rien tant que le cercle ne sera pas complet. Presque complet, car ça fait trois mois maintenant que Tor manque à l’appel, et nous nous efforçons de ne plus l’attendre.
Intitulé pour ce matin : la réunion destin. Il faut décider comment continuer ensemble… Ou pas. Je me tortille sur mon tabouret, enlève mes lunettes cassées et essaie de refixer l’adhésif en attendant le coup d’envoi. Moi qui aime les réunions, cette fois-ci, je ne sais plus trop. Allons-nous décider que ce collectif tient la route et élaborer un plan pour la suite ?
Koma soupire en suçotant une de ses mèches. Izem fixe le mur d’un air carrément impatient. Alex gratte une tache presque violette sur la table vaguement violette de son ongle carrément violet.
— Mais merde, c’est Faz qu’on attend, là ? Elle m’a dit qu’elle ne viendrait pas, elle m’a donné une lettre pour le groupe !
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nes dépitées : on poireautait pour rien. En triturant ses tresses, Thilelli nous lit le mot de Faz.
— C’est drôle « Thilelli nous lit », non ?
— Chut, Pedro, la lettre !
Faz continue à douter de sa place. Elle galère à se sentir installée. Elle remercie Alex de lui avoir expliqué pas mal de choses et s’excuse de ne pas la soutenir davantage sur ses chantiers informatiques. Elle nous reparle de Tor qui l’a sauvée une nouvelle fois avant de l’abandonner une nouvelle fois.

 

 

Je regarde mes amies, visages fatigués, inquiets, concentrés. Cinq corps accrochés à la table ovale. Faz s’en remet à nous, elle promet de venir une autre fois, il ne reste plus qu’à commencer la discussion. J’échange mon feutre violet contre celui d’Alex : elle adore le violet. En fait, elle est l’incarnation du violet, et tant pis pour moi, j’écrirai en noir. Je suis trop gentil !
Une feuille de brouillon et un crayon par personne, c’est le luxe de la lutte : continuer à écrire sur du papier : se donner un petit style romantique début du siècle. La consigne imaginée par Alex est de rédiger trois propositions : petit un, quelque chose qui faciliterait concrètement la vie au quotidien ; petit deux, une hypothèse sur ce qui se passerait pour nous si nous partions d’ici ; petit trois, ce dont nous rêverions, dans l’idéal de l’idéal de notre avenir personnel et commun… Tout ça pour trouver le moyen de continuer sans nous rabougrir et composter sur place, jusqu’à devenir un minable terreau à chardons dans les plaines arides de la détresse affective.
Koma demande l’heure à Izem qui grattouille le poignet d’Alex pour l’inciter à rallumer son combi. Cette obsession du temps qui passe est infernale, et j’imagine expédier ce foutu combi au fond du jardin pour leur rappeler ma maîtrise exceptionnelle du lancer de poids… Mais je sais que mes petites camarades sont déjà liguées sur ce point : elles sont capables de monologues interminables et de chantages affectifs d’envergure pour me prouver que « respecter des horaires, ça cadre la réunion ». J’ai envie de leur crier : « Si vous continuez à nous stresser comme ça, on va tous crever du cancer ! »
Sur le papier, je développe pourtant le piège de mon enthousiasme : je note leur nom à chacune et gribouille les contours de mes bras qui les enlacent : je les aime tellement, surtout quand nous nous donnons ensemble les moyens de former un truc plus gros que nous-mêmes : une chose très puissante qui part dans tous les sens : une forme tentaculaire, gentille, stylée et imprévisible : une pieuvre rose qui chante à tue-tête…

 

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