FAZ
La gare Sainte-Anne est grande, aseptisée, et elle porte un nom d’hôpital. Mais tout y est vaste et moderne, rien à voir avec…
… les hôpitaux que Faz a connus. Au plafond, il y a un enchevêtrement de métal géant qui pendouille. Pour une fois qu’une œuvre d’art n’est pas bariolée de drapeaux tricolores, Faz prend plaisir à la regarder. Ça fait vaguement penser à des proues de navires, à des morceaux de portiques et de grues, à des carcasses de cargos, mais c’est tout en écailles polies, des milliers et des milliers d’écailles accrochées les unes aux autres.
Faz ne voit ni crochets ni structure et ça doit être très lourd. Iels ont sûrement utilisé un composite bien solide. Pour suspendre tant de poids au-dessus d’une foule, il faut assurer au niveau technique. En tout cas, il y a beaucoup de métaux différents, car on distingue des nuances de couleurs et de matières éclairées par des centaines de diodes, un sacré tas de pognon. En se balançant, ça produit un léger bruit de vent.
La seule chose que Faz sait de cette ville, c’est son passé de capitale des chantiers navals. Elle s’attendait à une ambiance un peu plus postindustrielle sinistrée. Pourtant, les écailles frétillent au-dessus de sa tête, tout comme les tours du centre d’affaires scintillent à travers la façade vitrée de la gare, laissant imaginer un écosystème bien friqué.
Faz va rejoindre un groupe, une amie dans un groupe, les ami·es de son amie. La foule rapide et serrée circule dans un brouhaha continu et assourdi. Personne ne la regarde, mais elle a peur qu’on la repère.
C’est la deuxième fois qu’elle rejoint Tor. Tor et sa bande de clandestin·es. Pourquoi ? Parce que cette emmerdeuse me croise, m’offre un verre et me prend la main. Elle m’invite à revenir juste comme ça. Elle me touche la peau et relance mon cœur, j’essaie de résister… Tor est la séduction incarnée.
Faz laisse les écailles de métal derrière elle. Les heures de train solitaires et la crainte des contrôles lui font les jambes lourdes. Sur le parvis de la gare, elle sursaute au son des sirènes de police, alors que les masses pressées ne réagissent même pas. Cinq fourgonnettes de FoPU déboulent hurlantes. Faz hésite. Les fourgons dépassent la gare, crissements de pneus et claquements des portières. Le bruit est partout, la rue se referme, sonde des combis obligatoire, une trentaine de personnes sont prises dans la nasse. Du haut des marches, Faz se fige. Pourvu que mes futures camarades n’en fassent pas partie. Déjà deux personnes sont conduites au camion, menottes aux poignets. Faz ne peut rien faire… Surtout ne pas réagir, je dois me concentrer sur le lieu de rendez-vous. Il y a un an, ce genre d’arrestations était encore monnaie courante, mais ça s’était calmé… Enfin, c’est ce que je croyais. Bonjour l’accueil !
Faz tourne le dos aux arrestations, s’appuie sur le muret en béton juste en face du café de la Gare. J’espère que les FoPU n’en ont pas après moi… J’ai suivi les consignes de Tor à la lettre. Elle relève ses lunettes sur le haut de sa tête, comme pour retenir des mèches de cheveux imaginaires, et sort la sacoche rouge de son sac. Elle la serre, bien en évidence sur son ventre, en scrutant le parvis devenu flou.
À peine quelques secondes, même pas une vraie attente, deux filles sont là, tout emmitouflées…
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