onik

… pluie, le restaurant est resté vide, mais elle se dit qu’il n’y a pas concordance entre les deux événements, entre la pluie et la désertion du restaurant | à la radio, elle a entendu parler d’un « énième coup de filet contre les milieux de la mafia » | derrière les annonces triomphantes se dessine une réalité à la fois banale et cruelle : la traque des antinationaux, leur enfermement, leur expulsion… ça se succède comme des vagues, c’est sans fin | et cette fois-ci, ça a vidé le restaurant | décidément, depuis la fin de beaulieu libre, le quartier a changé du tout au tout, ils mettent le paquet pour nettoyer | comme chaque soir, onik jette quelques kilos de poisson cru, en fermant bien le sac-poubelle pour qu’ils ne s’abîment pas | des militant’e’s font la tournée des bennes la nuit pour redistribuer à des antinationaux | expédier les invendus au service de revalorisation est obligatoire, mais ce petit geste d’insoumission rassérène onik | c’est le moins qu’elle puisse faire | « coup de filet », le mot sordide résonne dans sa tête quand elle claque la porte de la chambre froide | onik n’arrive pas à savoir si l’expression a toujours existé ou si le pouvoir l’a inventée ces dernières années pour parler des rafles | plus personne ne s’en indigne | après la violence des mises à mort, après les disparitions et les tortures, les nouvelles méthodes des fopu semblent probablement anodines, voire indulgentes | la peur s’est déplacée, elle est devenue intestine | l’état d’urgence institué en régime est à la fois plus discret et plus abouti et il permet au gouvernement de reporter mois après mois le calendrier électoral | onik sent ricocher en elle la voix du ministre de la défense intérieure, la façon dont il félicitait ce soir les forces de l’ordre pour ce coup d’éclat contre la pandémie terroriste | face aux réseaux pathogènes, il s’est une fois de plus présenté en bon médecin de famille, il a mêlé cancer, traitement de fond et frappes chirurgicales à la nécessité d’une procédure judiciaire intraitable | autrement dit, un procès à huis clos devant un tribunal militaire expéditif | l’appréhension d’être malade, de porter en soi et malgré soi les apparences de la contamination… une peur qui instille l’ennemi intérieur partout | onik se sent profondément écœurée, ça pue l’antiseptique, la crasse et la cigarette froide | une odeur de taule et d’hôpital mélangée ¦

avant cela, onik avait fait partie de ce monde enthousiaste, elle avait été dans des groupes où personne ne comptait son énergie | illes se connaissaient pour certain’e’s depuis vingt ans, depuis sa sortie de prison en fait, lorsque tor était venue la chercher | onik avait vite compris que son profil de grande fille discrète, tombée à 17 ans pour le meurtre en réunion d’un flic, était un laissez-passer idéal pour intégrer un groupe de jeunes gauchistes…

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