SUBTIL BÉTON
les Aggloméré·e·s

Un roman d’anticipation fabriqué à plusieurs mains.

Chapitres inédits

Attention ! Cette rubrique dévoile des éléments importants de l’intrigue de Subtil Béton. Pour préserver le suspens du roman, nous vous conseillons de ne pas parcourir ces pages avant d’avoir fini la lecture du livre…

Mécanique

Où Phaz se heurte à l’inertie au quotidien.

PHAZ

« Il faut voir avec la direction, revenez plus tard »
Ça y est, la phrase vient de tomber. Les mots ne sont jamais vraiment les mêmes, évidemment. On laisse l’auteur y ajouter sa petite touche personnelle : « je ne fais que mon travail », « ce sont les directives, je suis désolée », « je ne suis pas en mesure de répondre à votre demande ».
Lasse des techniques infructueuses du regard de chien battu et de l’engueulade publique, Phaz s’essaie cette fois-ci à une nouvelle stratégie d’intimidation : relever ses lunettes de soleil, ne pas sortir son regard du cadre de celles de la secrétaire en face, et ne s’autoriser qu’un clignement d’œil par minute. Les secondes s’écoulent, lentement. L’autre ne décille pas, semble coutumière du jeu. Aucun tressaillement sur son visage. Son grand front lisse et ses sourcils ultra-épilés en deviennent intimidant. Une statue. Les battements de paupière de Phaz se font peu à peu plus nombreux, le rapport de force s’inverse, ses yeux la grattent. « Bordel, elle me fait flipper celle-là, j’y crois pas, d’habitude je gagne toujours à ce jeu-là ! ».
Alors je plonge mon regard au plus profond de ses yeux une dernière fois, fronce peu à peu les sourcils, jusqu’à ce que ceux-ci ne fassent apparaître que la pupille de mes yeux, fait volte-face, m’en vais.
Tête haute, démarche solennelle et regard grave, espérant ainsi, même de dos, éveiller sa conscience endormie au gré des directives quotidiennes. Je passe les portes vitrées de la préfecture et ses deux vigiles, et m’immerge dans le flot dense des rues de la capitale. Étrange sensation de ne pas aller dans le bon sens de la marche. La foule est compacte et pressée, semble former un flot uniforme parfaitement coordonné avec celui des bagnoles qui pourtant foncent et klaxonnent.
« Je veux que tout cela s’arrête. JE VEUX QUE TOUT CELA S’ARRÊTE. Pourquoi tout le monde continue, pourquoi est-ce qu’illes ne changent pas de sens comme ça, d’un coup, pourquoi illes ne se mettraient pas à baiser en plein milieu de la rue, à cogner la secrétaire de la Pref, à monter sur les voitures ?! ». L’impression de n’être que la spectatrice impuissante d’une mécanique parfaitement huilée, où chacune des milliers de pièces ne feraient que rouler les unes sur les autres sans le moindre choc. Une mécanique qui se tient sans que je comprenne pourquoi et que seule la rouille, à terme, semblerait pouvoir menacer.

 

 

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